Après le texte de bilan de la lutte des Bouillons signé « Collectif ZAD », on est plusieurs à avoir eu envie d’écrire quelque chose, avec nos mots malhabiles. Diversité des ressentis, diversité des tactiques. A votre tour, faites entendre votre petite voix.
On le sait par avance. Ce qui fait peur à l’un-e fait hausser les épaules à l’autre. Ce qui paraît une évidence à l’un-e fait rire l’autre. La saine rage de l’un-e est vue comme une outrance par l’autre. Accepter les dissonances. Assumer que les médias ne comprennent pas. Argumenter. Essayer de comprendre. Ne pas se mentir, ne rien se cacher. Faire le constat d’incompatibilités et prendre des chemins différents. Et pourtant cuisiner ensemble. Manger, chanter. Et dormir sous le même toit.
S’approcher de ce programme a été frôlé, volé, raté, réussi…
nous sommes plusieurs a organiser déjà les choses ensemble entre les camps, les actions, les soirées….pour nous, ça paraît logique de s’organiser en collectif de façon horizontale, ça veut pas dire qu’on a un fonctionnement parfait non plus !
on est plusieurs à avoir passé des moments sympas à la ferme mais depuis le début, la Zone A Urbaniser ou ZAU nous est apparu-e étrange. Pourquoi pas dire une ZAD ? La stratégie de parler aux élus est au contraire de nos principes…on s’organise où on veut, quand on veut !
Prends ZAD dans ta gueule !
Faire un bilan de la lutte de la ferme des Bouillons est nécessaire, même si tout n’est pas complètement terminé, les choses évoluent avec le chapiteau, le maintien de réunions de CA, les procédures juridiques,
On peut estimer que la perte du lieu constitue un échec en soi, tant cette lutte était ancrée.
Faire ce bilan ou un début d’analyse par écrit est rendu nécessaire par le choix de mettre un terme aux AG, décidé par le CA de manière unilatérale, et qui n’a pas permis aux différent-e-s participant-e-s à la lutte de s’exprimer comme ils-elles en ressentaient le besoin à ce moment-là. Des sentiments mêlés de colère, tristesse, perte de quelque chose de précieux et nécessité de trouver des solutions collectives pour rebondir sont restés dans le non-dit. Cette confiscation des suites de la lutte est symptomatique d’une certaine forme choisie pour agir et décider ensemble.
On peut dire que la lutte des Bouillons a été riche de toutes ses composantes très différentes, que ce soit pour l’âge, la situation sociale ou économique, le point de vue politique, l’implication à des degrés divers, allant de la simple participation aux événements à l’occupation prolongée… Tant que l’occupation était possible, la cohabitation d’une partie se reconnaissant dans un fonctionnement de type associatif structuré avec un CA d’un côté et un collectif de type autogestionnaire de l’autre, a servi la lutte et a permis de la populariser. Mais dès que les choses sont devenues plus conflictuelles (depuis l’annonce de la promesse de vente jusqu’à l’expulsion), les choix stratégiques se sont heurtés à la diversité des points de vue quant à l’action.
Pour les un-e-s, des actions médiatiques et symboliques, restant au même niveau de conflictualité qu’auparavant étaient suffisantes pour gagner.
Pour les autres, il fallait passer à un niveau de radicalité supérieure.
Mais il y a eu clairement des empêchements d’exprimer et d’organiser des actions nous engageant plus directement.
Suffisamment d’exemples montrent que cet obstacle était réel :
Devant la SAFER, absence totale de volonté de contraindre la direction.
Accord préalable pris avec la police pour ne pas planter de cabanes sur l’esplanade, nous cantonnant à un petit carré devant la CREA.
Autre accord préalable pour ne pas coller d’affiche sur la vitrine du PS le jour de la marche.
Le plus grave étant peut-être la peur répandue par l’évocation incessante du manifestant violent, avec une référence claire aux manifs de la ZAD du Testet, en reprenant l’imaginaire véhiculé par les Media et le pouvoir.
Ce faisant, les personnes qui ont divulgué cette peur ont elles-mêmes créé une séparation et ont finalement fait capoter la lutte, en laissant les Mégard s’installer sans prendre conscience qu’il fallait utiliser d’autres moyens adaptés à la situation insupportable qui nous était faite.
De leur côté, ne souhaitant pas cliver le mouvement, les partisans de l’action directe ont souvent rangé leurs idées et rongé leur frein, en se disant que l’occasion se représenterait.
On a perdu la ferme, mais je refuse de dire que tout a été perdu : le reste (partage, entraide, rencontres, moments de fêtes…), c’est gagné !
C’est gagné pour toujours dans les têtes et les cœurs, même si les gens se dispersent.
C’est gagné politiquement car si une autre occasion d’occupation se présente, tout le vécu peut servir , comme on l’a vu sur les 3 jours d’occupation du terrain voisin.
L’analyse comprenant à la fois l’aspect intime et collectif et l’aspect politique a pour but de rendre possible le regroupement de composantes très diverses qui luttent pour une même cause.
Mais elle veut montrer que si tous les types d’actions allant dans le sens de la lutte peuvent cohabiter, à un moment donné, le mode d’action par délégation et le recours à l’action directe sont incompatibles. Quand le niveau d’agression subie l’exige, d’autres actions sont nécessaires : ne pas s’adresser aux autorités en mendiant mais en prenant, ne pas se référer à un soi-disant représentant ou porte-parole, reprendre la parole et organiser des modes de décision collectifs de façon horizontale.
Se rapprocher et s’écouter pour continuer à s’organiser ensemble.
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* convergence des luttes, un moyen n’exclue pas l’autre.
* nécessité de se projeter dans le futur et de construire une solution qui concilie les différents acteurs. Il en est de même pour les autres ZAD (NDDL…).
* ne pas sous-estimer son adversaire.
* favoriser plutôt la notion de « collectif » qui regroupe les différents acteurs plutôt que des structures plus traditionnelles (assos, Groupement Foncier Agricole, …).
* Fixer et hiérarchiser les objectifs du collectif.
* Les bouillons, pas qu’un lieu, comme les squats, c’est une vague qui se déplace, une façon de vivre que l’on n’arrête pas quelque part.
* Ce n’est pas un échec, mais un apprentissage, en attendant ça fait chier, car ce lieu était aussi super utile…
* Ce lieu était une académie (école) d’agriculture, permaculture, de vivre et s’organiser ensemble… ouvert à tous. Un lieu révélateur de talent, un lieu de découverte de soi avec d’autres.
* Lieu où les gens font eux-mêmes ce dont ils ont envie, ou besoin ou rêvent ! Pour les gens, par les gens… rare endroit !
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Quelques un-e-s du collectif ZAD Rouen NDDL